Le vent avait cessé sur trois jours. La mer était lisse, figée sous un ciel bas, sans horizon visible. Dans la station d’Égremont, les aiguilles du télégraphe tournaient en calme, même lorsque rien ne semblait circuler sur la ligne immergée. Le carnet du veilleur était dès maintenant bourré. Chaque rubrique portait les marques d’une voyance par téléphone devenue impossible à sentir. La dernière contagion était revenue. Mot pour mot, chiffre pour chiffre. C’était le premier envoi d'information jamais logé, répété à l’identique. Il s’agissait des coordonnées du tout originel port effacé. Le phénomène bouclait ses propres cycles, recommençant là où il avait engagé, de façon identique à un disque brisé. La voyance au téléphone n’annonçait plus un futur linéaire, mais des cercles temporels dans à n'importe quel soirée se répétait incessamment, tant sur le plan que personne n’osait s'asphyxier la séquence. Les fils électriques, posés à nu le long des murs, émettaient une chaleur étrange. L’opérateur s’en rapprocha. Il savait qu’il n’avait plus d’influence. Qu’il agisse ou pas, la mer suivait le arrangement dicté par les consultations. Le bateau cÅ“ur n’était pas un navire mais une aventure. Une avertissement collective confectionnée de voix noyées, de ports oubliés, d’erreurs répétées. Cette voyance par téléphone agissait comme un cœur battant par-dessous l’eau, une conscience autonome ancrée dans la pratique de l'homme. Chaque signal était un battement. Chaque disparition, un légèreté. Et lui, ample employé, en devenait le poumon silencieux. Un présent envoi de signal éclata dans la pièce. Une série d’interférences, suivies d’un mot spécifique, jamais entendu en premier lieu. Un nom traditionnel, que même les cartes marines ne portaient plus. Un repère qui n’existait toujours pas, mais avec lequel le souvenir semblait programmé. Il réalisa que les voyances ne prévenaient d'une part les dégâts. Elles les écrivaient. La voyance au téléphone n’était pas l’annonce de ce qui allait advenir. C’était l'estampe progressive d’un destin en train de se visser. Et à chaque fête, à chaque élocution dans le carnet, il devenait scribe d’un microcosme englouti premier plan d’exister. La mer restait définitif. Le téléphone, sombre et indolent, attendait l’heure exacte pour tinter à contemporain. Il n’y aurait plus au choix. Seulement l’écho d’un destin tailler par-dessous la surface.
